Après avoir écarté l’éventualité d’un bombardement de sites nucléaires iranien, l’état-major israélien privilégie des opérations «régionalisées». Contrairement aux bombardements de l’été 2006, l’option terrestre est maintenant privilégiée. Celle-ci requiert l’engagement de quelque 120 000 fantassins, un grand déploiement d’artilleries et un millier de blindés. Les réservistes israéliens vivant en France et dans d’autres pays méditerranéens ont été, d’ores et déjà, mis en alerte. Ultrasecret, leur calendrier de retour en Israël s’étale du début novembre à la fin décembre. Dernièrement, les forces spéciales israéliennes, qui avaient échoué à s’implanter dans le Sud-Liban en août 2006, ont été réorganisées et sont engagées dans des programmes d’entraînement intensifs dans le secteur des fermes de Chebaa.
L’axe de pénétration de la première vague d’assaut emprunterait la Bekaa-Est, le long de la frontière syrienne avant de se scinder en deux fronts nord-est et sud-ouest. Cette opération ne vise pas une réoccupation durable du Liban-Sud, mais voudrait « casser le réarmement du Hezbollah et l’empêcher de déployer, à nouveau, des moyens militaires au sud du Litani », a expliqué le chef d’état-major israélien, Gabi Ashkenazi, à son homologue français, le général Jean-Louis Georgelin, le 4 octobre dernier à Paris.
Quelques heures auparavant, Ashkenazi s’était entretenu avec le chef des armées américaines, l’amiral Mullen, en villégiature en Normandie. Il a, bien sûr, été question du prochain exercice de défense israélo-américain « Junifer Cobra », prévu à la fin octobre. Ces manœuvres antimissiles doivent permettre de tester les systèmes antimissiles Hetz (Arrow), Thaad (haute altitude), PAC-3 et le dispositif AEGIS, impliquant la marine et l’aéronavale. D’autres manœuvres « Junifer Cobra » de même type ont déjà eu lieu ces cinq dernières années, mais cette nouvelle édition devrait engager — pour la première fois — des missiles intercepteurs et un nouveau système radar.
L’escapade française d’Ashkenazi, qui a duré moins de douze heures, a largement été commentée dans la presse israélienne après avoir « fuité » par un porte-parole de l’armée. Israël a voulu faire savoir qu’il abandonne temporairement l’option d’un raid aérien sur des objectifs nucléaires iraniens. A son retour, Ashkenazi a répété à la radio militaire que « la meilleure façon de lutter contre le nucléaire iranien consiste à imposer des sanctions », ajoutant que, si elles échouent, « Israël aura parfaitement le droit de se défendre avec tous les moyens nécessaires ».
Une nouvelle guerre contre le Liban s’inscrit, dès maintenant, dans cette rhétorique des « moyens nécessaires » qui comprennent aussi la répétition toujours possible de l’opération « Plomb durci » contre Gaza en janvier 2009. Toutefois, cette dernière hypothèse ne présente ni un caractère d’urgence politique, ni la garantie de pouvoir changer la donne stratégique régionale. Par contre, une nouvelle guerre contre le Liban aurait la préférence du cabinet israélien pour trois raisons. Premièrement : l’armée israélienne veut sa revanche sur le Hezbollah après le fiasco de sa guerre ratée de l’été 2006. Deuxièmement, Tel-Aviv essaiera de la vendre à ses alliés comme une nouvelle opération de police régionale susceptible de renforcer la stabilité du Liban. Troisièmement, et là réside sa dimension essentielle : en s’en prenant de nouveau au Hezbollah, Tel-Aviv envoie un signal à Téhéran et Damas qui soutiennent l’organisation politico-militaire libanaise.
Cette planification militaire correspond à une période « intermédiaire », commentent plusieurs sources du Département d’Etat alors que des pourparlers secrets se dérouleraient entre Israéliens et Palestiniens afin de préparer un « Oslo II ». Cette négociation de « haut niveau » se déroulerait depuis septembre dernier sur le territoire des Etats-Unis. Elle constituerait la raison principale pour laquelle le président palestinien, Mahmoud Abbass, a accepté — à la demande des Etats-Unis — le report en mars du vote d’une résolution du Conseil des droits de l’homme des Nations-Unies sur le rapport du juge sud-africain Richard Goldstone accusant Israël de « crimes de guerre » durant son offensive contre Gaza durant l’hiver 2008/2009.
Dans ce contexte, plusieurs sources du Département d’Etat américain estiment qu’une nouvelle guerre israélienne « défensive » contre le Liban pourrait favoriser le lancement d’« Oslo II », la grande initiative attendue de l’administration Obama. Doublement confronté à un redéploiement difficile de ses troupes en Iraq et à un choix stratégique capital d’augmentation ou de stagnation de ses effectifs et matériels en Afghanistan, le gouvernement du nouveau prix Nobel de la paix a impérativement besoin d’une relance de quelques négociations israélo-palestiniennes.
Même si l’on sait que le gouvernement Netanyahu s’est clairement prononcé contre un Etat palestinien et pour une continuation sine die de la colonisation, même si l’on sait que le Sénat américain n’est pas prêt à forcer l’Etat hébreu à faire des concessions significatives à la partie palestinienne, la grande presse internationale pourra enfin reparler d’un « processus de paix ». Refaire de la communication à partir d’un tel processus, même si celui-ci s’abîme de nouveau dans le simulacre, constitue désormais la priorité de Washington et de Tel-Aviv. Une fois encore, le Liban risque de servir de champ d’expérimentation à un marché de dupes.
Articles de Richard Labévière publiés par Mondialisation.ca