Friday, July 17, 2009

Enquêter sur Goldman Sachs serait antisémite



Rolling Stone writer called ‘anti-Semitic’ for simply following the money

by maasanova on July 16, 2009

Popular Rolling Stone contributor, writer and blogger Matt Taibbi claims that he was sent e-mails which attacked him and accused him of anti-Semitism for exposing the investment bank giant Goldman’s Sachs and their shady financial dealings over the years. Taibbi goes into great detail in his seven page essay Inside The Great American Bubble Machine on events relating to such market manipulations as the Great Depression, the commodities bubble, the housing bubble and even the upcoming green/environment bubble, and has fingered Goldman Sachs as playing a leading role in each catastrophe. More important than the various scams that have played out, much to the detriment of the average American, Taibbi exposes the reloving door tradition of the private sector employee of Wall Street into high level, unelected positions in the US government.
For that blistering expose alone, Taibbi expected that he would receive reprisals from the Wall Street types looking to rebuke his charges, but never did he imagine that he would be charged with anti-Semitism for his article. Taibbi writes:
It’s been interesting, to say the least, watching the public reaction to my Rolling Stone piece last week. I of course expected that some kind of highly unpleasant response would come my way from Goldman and its allies in the press, but I admit to being surprised a little by the form this response took.
The most ludicrous of these, and the one that surprised me the most, is the accusation that my article was anti-Semitic propaganda. The first letter I got on this score I actually mistook for a joke sent to me by one of my friends. Then I got another one which I quickly realized was not a joke at all. “Isn’t it convenient,” it read, “that an Arab-American writer for Rolling Stone looks at Wall Street and picks the most prototypically Jewish firm around to demonize.”
The last time I heard something similar was a few years ago, when Debbie Schlussel, a severely dimwitted Detroit-based right-wing pundit, railed against my supposed Arabness after I wrote an article about the Lebanese population in Dearborn, Michigan. I wrote to her to let her know that I’m actually Irish and Filipino, and not at all an Arab, but never got a response. This time the charge is a little different, as several writers complained that my article was “a rehash of every classic anti-Jewish conspiracy theory” and “a pale copy of the Protocols of the Elders of Zion.”
For one thing, while Goldman’s founders a gazillion years ago were apparently Jewish, I seriously doubt that religion plays any role at all in the makeup of the modern Goldman. I don’t have any way of knowing this, but I would be shocked if it weren’t true that a majority of Goldman’s current employees were not Jewish. And whatever the reality is, I don’t care; it’s not a concern of mine and we didn’t make it a concern in the article.
If anything it seems to me that what defines these Wall Street characters is not religion but the absence of it: even a hardened atheist like myself comes away from the experience of reading about the last two decades of Wall Street history shocked by that community’s complete and utter Godlessness and moral insanity. What I’m saying in other words is that if any of these clowns actually had a real religious sensibility, we wouldn’t be in this mess — and that’s coming from someone who believes all religions to be inherently ridiculous. For Goldman now to hide behind the cloak of Jewish victimhood is both more obnoxious and less convincing than Marion Barry wearing a dashiki after the indictment.
It would seem that the reasons for the cries of anti-Semitsim are just as telling as the story of the perpetrators of and the magnitude of their scams. Nowhere in his essay did Taibbi even use the word “Jew” or even suggest that Jews were behind various scams, he just followed the money and reported on where it led him. The charges of anti-Semitism laid on Matt Taibbi for simply following the money should lead to many debates on how the Anti-Defamation League sponsored hate crime and cyberbullying laws have on journalism should they be signed into law.





L'article du Rolling Stones à l'origine de cette controverse:
Inside The Great American Bubble Machine : How Goldman Sachs has engineered every major market manipulation since the Great Depression


Version française de cet article:

Goldman Sachs - La grande machine à bulles

http://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/goldman-sachs-la-grande-machine-a-59168

Depuis le début du mois, un important article paru dans le numéro de juillet du magazine Rolling Stone fait beaucoup de bruit dans la blogosphère ainsi que dans les médias traditionnels du monde entier. Il expose le rôle de la banque d’affaires Goldman Sachs dans presque toutes les crises financières depuis plus de 80 ans. Il apporte un éclairage cru sur les évènements financiers et économiques passés et contemporains. L’auteur, Matt Taibbi, est un journaliste d’investigation au courage, à mon avis, comparable à celui de Denis Robert. Le sujet est primordial, l’enquête sérieuse, les informations explosives, le ton incisif. Matt Taibbi appelle un chat un chat. L’ensemble est compréhensible par les non-initiés en finance.
Depuis la parution de cet article, Goldman Sachs a publié ses résultats : ils sont meilleurs que jamais. Et les bonus sont en augmentation. Ces dernières nouvelles sont une parfaite confirmation de l’enquête de Matt Taibbi.
À celles et ceux qui le peuvent, je conseille de lire l’article dans sa version originale, le style y est excellent. Pour les autres, comme il n’existait pas, à ma connaissance, de version française, j’en ai fait une traduction. La voici ci-dessous.
Liens vers la version originale :ici et pour une version scannée de l’article papier, , et pour une version texte après traitement par reconnaissance des caractères (c’est en fait la même version mais quelques mots ont été volontairement changés par l’internaute qui a opéré la reconnaissance de caractères). La version vraiment authentique est bien celle du scan. J’ai pris connaissance de l’article de Matt Taibbi par le site contreinfo.info et j’ai utilisé pour la traduction cette version, mais en corrigeant les différences que j’ai pu détecter.
La grande machine à bulles américaine Matt Taibbi Rolling Stone - juillet 2009 Traduit de l’anglais par J.L. Des actions technologiques au prix élevés de l’essence, Goldman Sachs a fabriqué toutes les manipulations du marché depuis la Grande Dépression - et elle s’apprête à recommencer.

La première chose qu’il faut que vous sachiez sur Goldman Sachs, c’est qu’elle est partout. La banque d’investissement la plus puissante du monde est une formidable pieuvre vampire enroulée autour de l’humanité, enfonçant implacablement son suçoir partout où il y a de l’argent. En fait, l’histoire de la récente crise financière, qui est aussi l’histoire de la chute de l’Empire américain ruiné par des escrocs, se lit comme le Who’s Who des diplômés de Goldman Sachs. Aujourd’hui, la plupart d’entre-nous connaît les principaux acteurs. En tant que dernier ministre des finances de George Bush, l’ancien PDG de Goldman Henri Paulson a été l’architecte du renflouage, un plan louche pour détourner des milliers de milliards de VOS dollars vers une poignée de ses vieux copains de Wall Street. Robert Rubin, ex-ministre des finances de Bill Clinton, passa 26 ans chez Goldman avant de devenir président de Citigroup - banque qui, en retour, reçut de Paulson 300 milliards de dollars d’argent public. Il y a John Thain, cet enfoiré de patron de Merryl Lynch, qui s’offrit un tapis à 87.000 $ pour son bureau alors que sa société implosait. Ancien de chez Goldman, Thain bénéficia d’un don de plusieurs milliards de dollars de Paulson, lequel utilisa aussi des milliards d’argent public pour aider Bank of America à sauver la société sinistrée de Thain. Il y a Robert Steel, ancien de Goldman et patron de Wachovia, qui s’est accordé 225 millions de dollars de parachutes dorés, pour lui et ses cadres dirigeants, tandis que sa banque s’autodétruisait. Il y a Joshua Bolten, directeur de cabinet de Bush durant le renflouage, et Mark Patterson, en charge des finances dans le cabinet de Bush, qui était encore un lobbyiste de Goldman un an avant. Et Ed Liddy, un ancien directeur de Goldman que Paulson a chargé du renflouage du géant de l’assurance AIG[1]. Après l’arrivée de Liddy, AIG a versé 13 milliards de dollars à Goldman. Les directeurs des banques centrales du Canada et d’Italie sont des anciens de Goldman, comme le sont le directeur de la Banque Mondiale, le directeur du New York Stock Exchange[2], les deux derniers directeurs de la Réserve Fédérale de New York - laquelle est, à propos, maintenant chargée du contrôle de Goldman - sans parler de… Mais toute tentative de construire la narration autour de tous les anciens de Goldman qui occupent des positions influentes devient un exercice absurde et sans objet, un peu comme essayer d’établir la liste de toutes les choses sur Terre. Ce que vous devez voir est le plan d’ensemble : si l’Amérique est aspirée par un siphon, Goldman Sachs a trouvé le moyen d’être ce siphon - une lacune extrêmement malheureuse dans le système capitaliste occidental, qui n’a jamais prévu que, dans une société qui se laisse passivement gouverner par le Marché libre et des élections libres, la rapacité organisée gagne toujours sur la démocratie désorganisée. La puissance et le pouvoir sans précédent de la banque lui ont permis de transformer l’Amérique en une pompe à fric géante, manipulant pendant des années des secteurs économiques entiers, déplaçant ses pions quand tel ou tel marché s’effondre, et tout le temps se gorgeant de coûts cachés qui brisent des familles partout - prix du pétrole, taux des crédits à la consommation, fonds de pension à moitié mangés, licenciements massifs, futurs impôts pour rembourser les renflouages. Tout cet argent que vous perdez, il va quelque part et, au sens propre comme au figuré, il va à Goldman Sachs. Cette banque est une immense machine, hautement sophistiquée, pour convertir la richesse utile en la substance la moins utile, la plus gâchée qui soit - le pur profit d’individus déjà riches. Ils réalisent cela en utilisant encore et toujours le même protocole. La formule est relativement simple : Goldman se place au milieu d’une bulle spéculative, vendant des investissements qu’ils savent être de la merde. Ils aspirent alors de vastes sommes des classes moyennes et basses de la société, avec l’aide d’un État invalide et corrompu qui leur permet de réécrire les règles en échange de quelques pourboires que la banque jette aux politiciens. À la fin, quand la bulle éclate, laissant des millions de citoyens ordinaires sur le carreau, ils recommencent tout le processus, venant à notre rescousse pour nous prêter avec intérêt notre propre argent, tout en se présentant comme des hommes désintéressés, juste une bande de chics types qui sont là pour aider la machine à tourner. Ils nous ont fait le même coup encore et encore depuis les années 1920 - et aujourd’hui, ils se préparent à le faire encore en créant ce qui pourrait bien être la plus grande et plus impudente bulle de tous les temps. Si vous voulez comprendre comment nous sommes entrés dans cette crise financière, vous devez d’abord comprendre où tout l’argent est allé - et pour comprendre ça, vous devez comprendre comment Goldman s’est débrouillé dans le passé. C’est une histoire longue de cinq bulles exactement - y compris le pic du prix du pétrole l’an dernier, étrange et apparemment inexplicable. Il y eut beaucoup de perdants dans chacune de ces bulles, ainsi que dans le renflouage qui suivit. Mais Goldman n’était pas parmi eux.
Bulle n° 1 La grande Dépression
Goldman n’a pas toujours été le colosse de Wall Street, trop-gros-pour-faire-faillite, qu’il est devenu depuis longtemps. La banque a été fondée en 1869 par un immigrant allemand du nom de Marcus Goldman, qui l’a développée avec son gendre Samuel Sachs. Ils ont été les pionniers de l’utilisation du « papier commercial », ce qui est juste une façon chic de dire qu’ils ont fait de l’argent en prêtant à court terme à des emprunteurs occasionnels de Manhattan. Vous pouvez probablement deviner l’évolution de Goldman dans ses 100 premières années : la courageuse banque, dirigée par des immigrants, gagne ses paris, se développe et se fait des tonnes de fric. Dans cette histoire ancienne, il n’y a vraiment qu’un épisode qui mérite l’intérêt, à la lumière des récents événements : la désastreuse incursion de Goldman dans la folie spéculative de Wall Street durant les années 1920, avant le crash. Ce grand Hindenburg de l’histoire financière a quelques caractéristiques qui semblent familières. À l’époque, le principal instrument financier utilisé pour traire les investisseurs s’appelait un « investment trust[3] ». Semblables aux actuels fonds mutualisés, les trusts prenaient l’argent liquide des investisseurs, petits et grands, et (au moins en théorie) l’investissaient dans une palette de valeurs de Wall Street, mais les valeurs et leur montant étaient souvent cachés du public. Ainsi, un type normal pouvait investir 10 ou 100 $ dans un trust et se sentir comme un grand joueur. A peu près comme dans les années 1990, quand de nouveaux instruments tels que la spéculation intraday[4] ou la spéculation en ligne attirèrent des wagons de nouveaux pigeons qui s’imaginaient des caïds de la finance, les investment trusts attirèrent une nouvelle génération de types normaux dans le jeu spéculatif. Débutant un processus qui se répètera encore et toujours, Goldman entra dans le jeu de l’investment trust tardivement, puis y plongea à fond et se goinfra. La première étape fut la Goldman Sachs Trading Corporation ; la banque émit un million d’actions à 100 $ pièce, acheta toutes ces actions avec son propre argent, puis en revendit 90 % à 104 $ à un public affamé. La Trading Corporation acheta alors sans relâche des actions, faisant monter les prix toujours plus haut. Finalement, elle se débarrassa d’une partie de ses avoirs et finança un nouveau trust, la Shenandoah Corporation, émettant des actions de ce fonds pour des millions de dollars - lequel à son tour finança encore un nouveau trust, la Blue Ridge Corporation. De cette façon, chaque investment trust servait de façade à une pyramide infinie d’investissements : Goldman se cachant derrière Goldman se cachant derrière Goldman. Sur les 7.250.000 actions initiales de Blue Ridge, 6.250.000 étaient en fait détenues par Shenandoah - laquelle, bien sûr, était en grande partie détenue par Goldman Trading. Le résultat final (ça ne vous rappelle pas quelque chose ?) était une guirlande d’argent emprunté, du genre délicieusement vulnérable à une baisse de performance en n’importe quel point de la chaîne. L’idée de base n’est pas difficile à voir : vous apportez un dollar et en empruntez neuf ; puis vous utilisez ces 10 $ pour en emprunter 90 ; puis ces 100 $ servent à emprunter et investir 900 $, tant que le public continue à prêter. Si le dernier trust de la chaîne commence à perdre de la valeur, vous n’avez plus l’argent nécessaire pour rembourser vos investisseurs et tout le monde est massacré. Dans un chapitre intitulé « En Goldman Sachs nous croyons » de son livre The Great Crash, 1929, le célèbre économiste John Kenneth Galbraith prend les trusts Blue Ridge et Shenandoah comme des exemples classiques de la folie de l’endettement par effet de levier[5]. Les trusts, écrit-il, ont été une cause majeure du crack historique ; en dollars d’aujourd’hui, les pertes des banques s’élevèrent à 475 milliards. « On ne peut s’empêcher de s’émerveiller de l’inventivité qui a conduit à cette gargantuesque folie », observe Galbraith, comme un Keith Olbermann en tenue de soirée[6]. « Dans le domaine de la folie, l’échelle de celle-ci relève de l’Épopée. »
Bulle n° 2 Les valeurs technologiques (la bulle de l’Internet)
Avance rapide d’environ 65 ans. Non seulement Goldman survécut au Crack [NdT : de 1929] qui balaya tant d’investisseurs qu’elle avait grugés, mais elle est devenue la principale mandatrice[7] des plus riches et puissantes compagnies du pays. Grâce à Sidney Weinberg, qui s’éleva du rang de concierge jusqu’à la tête de la firme, Goldman a été pionnière de l’introduction en bourse des sociétés, un des principaux et plus efficace moyen par lequel les sociétés lèvent de l’argent. Durant les décennies 1970 et 1980, Goldman n’était peut-être pas encore l’Etoile de la Mort dévoreuse de planètes, politiquement influente, qu’elle est devenue aujourd’hui, mais elle était déjà dans le haut du panier, avec la réputation d’attirer les plus brillants talents de Wall Street. Étrangement, la banque avait la réputation de respecter la déontologie bancaire et d’avoir une approche patiente de l’investissement excluant le profit rapide ; ses cadres étaient entraînés à intégrer le mantra de la firme : « avide de long terme ». Un ancien banquier de Goldman qui a quitté la firme au début des années 1990, se souvient d’avoir vu ses supérieurs renoncer à une affaire très profitable sur la base qu’elle serait perdante sur le long terme. « Il nous est arrivé de rendre de l’argent à des grandes sociétés adultes qui voulaient mener des opérations non éthiques avec nous », dit-il. « Tout ce que nous avions fait était légal et honnête - mais notre crédo “avide de long terme” nous imposait de ne pas faire tel profit si le prix collectif à payer était de nuire à la place financière. »
À cette époque, quelque chose se passa. Il est difficile de dire quoi exactement ; c’est peut-être le fait que le co-président de Goldman au début des années 1990, Robert Rubin, suivit Bill Clinton à la Maison Blanche où il dirigea le Conseil économique national et devint finalement le ministre des Finances[8]. Tandis que les médias américains tombaient amoureux de la paire de baby-boomers nichant à la Maison Blanche, des yuppies ayant eu 20 ans dans les années 60, il y eut aussi un franc béguin pour Rubin, qui fut présenté comme la plus brillante personne qui ait jamais existé, sans l’ombre d’un doute laissant Newton, Einstein, Mozart et Kant loin derrière. Rubin était l’archétype même du banquier de Goldman. Il était probablement né dans un complet à 4.000 $, il avait sur le visage une expression qui semblait signifier « pardon d’être tellement plus intelligent que vous » et, tel un monsieur Spock, il ne semblait éprouver aucune émotion. Le seul sentiment humain qu’on aurait pu lui attribuer serait le cauchemar d’avoir à voyager en classe touriste. Il devint un cliché national que tout ce que Rubin pensait était le mieux pour l’économie - un phénomène qui atteint son apogée en 1999, quand Rubin fit la couverture du Time avec son adjoint aux Finances Larry Summers et le patron de la Fed, Alan Greenspan, sous le titre LE Comité POUR SAUVER LE MONDE. Et « ce que pensait Rubin » essentiellement, c’était que l’économie américaine et en particulier les marchés financiers, étaient sur-règlementés et avaient besoin d’être libérés. Durant son passage aux Finances, la Maison Blanche de Clinton prit une série de mesures qui eurent des conséquences radicales sur l’économie mondiale - à commencer par l’échec complet de Rubin à contrôler son ancienne firme quand elle se lança dans sa première course folle aux profits immédiats et obscènes. Le principe de l’escroquerie de la bulle Internet est très facile à comprendre, même pour les nuls en finance. Des sociétés, qui ne valaient guère plus que des idées trouvées sous l’influence du cannabis et écrites sur un coin de nappe par des fumeurs de joints attardés, furent introduites en bourse, leur promotion assurée par les médias et vendues au public pour des milliards. C’était comme si les banques, dont Goldman, avaient emballé dans un joli papier-cadeau des pastèques, les avaient lâchées du 50e étage tout en décrochant les téléphones pour les mettre aux enchères. Dans ce jeu, vous ne gagnez que si vous récupérez votre argent avant que la pastèque n’atteigne le trottoir. Ça semble évident maintenant, mais ce que l’investisseur moyen ne savait pas à ce moment-là, c’est que les banques avaient changé les règles du jeu pour améliorer l’apparence de ces affaires. Elles avaient mis au point un système d’investissement à deux classes - une pour les initiés qui connaissaient les vrais chiffres et l’autre pour les profanes qui étaient invités à suivre des prix gonflés que les banques elles-mêmes savaient être irrationnels. Alors que l’ancien fonctionnement de Goldman était de profiter des changements législatifs, son innovation clé durant les années Internet a consisté à abandonner ses propres normes de contrôle de qualité. « Depuis la Grande Dépression, il existait de strictes règles de mandatement financier que Wall Street suivait lors de l’introduction en bourse », dit le gérant d’un des premiers hedge-funds[11]. « La société doit exister depuis au moins 5 ans et elle doit avoir dégagé un bénéfice pendant au moins 3 années consécutives. Mais Wall Street a jeté ces règles à la poubelle ». Goldman a complété le rideau de fumée en gonflant les actions contrefaites : « leurs analystes disaient partout que Connerie.com valait 100 $ l’action ». Le problème c’est que personne n’avait dit aux investisseurs que les règles avaient changé. « Tout le monde dans les banques savait », dit le gérant. « Il est absolument sûr que Bob Rubin connaissait les règles de l’introduction en bourse. Elles n’avaient pas bougé depuis les années 1930 ».
Jay Ritter, professeur de finances à l’Université de Floride, spécialiste des introductions en bourse, dit que les banques comme Goldman savaient parfaitement que de nombreuses sociétés qu’elles introduisaient en bourse ne feraient jamais un centime de bénéfice. « Au début des années 1980, les plus grandes banques exigeaient 3 années bénéficiaires. Puis, ça a été un an, puis un trimestre. Au moment de la bulle Internet, les banques ne demandaient même pas une prévision de rentabilité ». Goldman a nié avoir changé les normes de l’introduction en bourse durant les années Internet, mais ses propres statistiques démentent son affirmation.
Comme elle avait fait pour les investment trusts dans les années 1920, Goldman commença doucement les années Internet et finit surexcité. Après avoir introduit en bourse en 1996 une société peu connue, Yahoo !, Goldman devint ensuite rapidement le roi de l’introduction en bourse de l’ère Internet. Parmi les 24 sociétés que la banque introduisit en bourse en 1997, un tiers perdaient de l’argent au moment de l’introduction. En 1999, au sommet de la bulle, la banque introduisit en bourse 47 sociétés, parmi elles des mort-nées comme Webvan et eToys, des offres d’investissement qui ressemblaient beaucoup à Blue Ridge et Shenandoah. Dans les quatre premiers mois de l’année suivante, Goldman introduisit en bourse 18 sociétés dont 14 perdaient de l’argent à ce moment-là. Comme premier mandataire des actions Internet durant la bulle, Goldman produisit un résultat beaucoup plus volatile que ses concurrents : en 1999, les actions des sociétés introduites en bourse par Goldman montèrent de 281 % au dessus de leur prix d’introduction, comparé à une moyenne de 181 % pour Wall Street. Comment Goldman réalisa-t-elle des résultats aussi extraordinaires ? Une réponse est qu’ils utilisèrent une pratique appelée « laddering[12] », ce qui n’est qu’un mot chic pour dire qu’ils ont manipulé les prix des actions offertes. Voici comment ça marche :
disons que vous êtes Goldman Sachs et que la société Connerie.com vient vous voir pour vous demander de l’introduire en bourse. Vous vous mettez d’accord sur les conditions habituelles : vous évaluez l’entreprise, déterminez le nombre d’actions offertes au public et embarquez le PDG de Connerie.com en tournée pour papoter avec les investisseurs, tout ça pour une commission substantielle (typiquement 6 à 7 % du capital récolté). Vous promettez alors à vos meilleurs clients le droit d’acheter de gros paquets d’actions au prix d’introduction - disons que Connerie.com débute à un prix de 15 $ l’action - en échange de la promesse que ces clients achèteront encore d’autres actions plus tard, sur le marché. Cette exigence, apparemment innocente, vous donne une connaissance d’initié de l’évolution du prix de l’action, connaissance qui n’était pas partagée avec les couillons de traders banals, lesquels n’avaient que le prospectus pour se faire une idée. Vous savez que certains de vos clients qui ont acheté X actions à 15 $ vont aussi en acheter Y de plus à 20 ou 25 $, ce qui garantit pratiquement que le prix va monter jusqu’à 25 $ et au-delà. De cette façon, Goldman pouvait faire monter artificiellement le prix de l’action, ce qui, évidemment, profitait à la banque - une commission de 6 % sur 500 millions de dollars, c’est de l’argent. Goldman fut poursuivi plusieurs fois par des actionnaires pour s’être livré au laddering à l’occasion de l’introduction en bourse de plusieurs sociétés Internet, dont Webvan et NetZero. Ces manœuvres frauduleuses attirèrent aussi l’attention de Nicholas Maier, manager de Cramer & Co., le hedge fund dirigé à l’époque par le maintenant célèbre animateur de télévision, cet enfoiré de Jim Cramer, lui-même un ancien de Goldman. Maier dit à la SEC[13] que, quand il travaillait pour Cramer entre 1996 et 1998, il a été forcé à plusieurs reprises de participer à des opérations de laddering pour les introductions en bourse de Goldman. « D’après ce dont j’ai été témoin, Goldman était la pire délinquante », dit Maier. « Ils ont complètement nourri la bulle. Et c’est précisément ce genre de comportement qui a causé l’effondrement du marché. Ils ont bâti ces actions sur une base illégale - ont manipulé le prix à la hausse - et, vers la fin, ce sont les petits qui ont fini par acheter ». En 2005, Goldman accepta de payer 40 millions de dollars pour ses fraudes de laddering - une amende ridicule comparée aux énormes profits que la banque a réalisés. (Goldman, qui a nié avoir mal agi dans tous les procès qu’elle a arrêtés par une négociation, a refusé de répondre aux questions concernant cette histoire.)
Une autre pratique à laquelle Goldman s’est livrée durant la bulle Internet était le « spinning », mieux connu sous le nom de corruption. Dans ce cas, la banque offrait aux cadres dirigeants de la société mise en bourse des actions à un prix très préférentiel, en échange de leur clientèle future. Les banques qui pratiquaient le spinning sous-estimaient le prix initial d’introduction, s’assurant ainsi que ce prix bas, dont elles faisaient profiter les initiés, allait très probablement monter rapidement, apportant ainsi des gains immédiats aux cadres favorisés. Ainsi, au lieu de Connerie.com offert à 20 $, la banque approchait le PDG de Connerie.com et lui offrait un millions d’actions de sa propre société à 18 $ en échange de sa clientèle - avec comme effet de voler tous les nouveaux actionnaires de Connerie.com en détournant vers le compte privé du PDG des liquidités qui, sinon, seraient allées sur le compte de la société. Dans un cas, on prétend que Goldman aurait ainsi offert plusieurs millions de dollars au PDG d’eBay Meg Whitman, lequel rejoignit plus tard le directoire de Goldman, en échange de la clientèle future d’eBay. D’après un rapport du comité des services financiers de la Chambre des représentants, Goldman a fait cette offre spéciale aux cadres dirigeants de 21 sociétés qu’elle a introduites en bourse, y compris le cofondateur de Yahoo ! Jerry Yang et deux des plus grands gredins de l’âge des scandales financiers - Dennis Kozlowski de Tyco et Ken Lay d’Enron. Goldman dénonça avec colère le rapport, le qualifiant de « flagrante distorsion des faits » - peu de temps avant de payer 110 millions de dollars pour mettre fin à une enquête sur le spinning et autres malversations lancée par les autorités de l’État de New York.
« Le spinning lors des introductions en bourse n’était pas une peccadille sans importance », dit le procureur général de l’époque, Eliot Spitzer. « Au contraire, c’était une partie intégrante d’un schéma frauduleux destiné à gagner des parts du marché de la banque d’affaires. » De telles pratiques ont contribué à faire de la bulle Internet un des plus grands désastres de l’histoire : quelques cinq mille milliards de dollars de richesse furent effacés sur le NASDAQ seulement. Mais le vrai problème n’est pas l’argent perdu par les actionnaires, c’est l’argent gagné par les banquiers d’affaires, qui reçurent de copieuses primes pour avoir faussé le marché. Au lieu d’avoir appris à Wall Street que les bulles finissent toujours par dégonfler, les années Internet ont démontré aux banquiers que, à l’âge du capital circulant librement et des sociétés financières privées, les bulles sont incroyablement faciles à créer et les primes individuelles sont en fait plus grosses quand la folie et l’irrationalité l’emportent. Nulle part ceci n’a été plus vrai que chez Goldman. Entre 1999 et 2002, la firme a versé 28,5 milliards de dollars de primes - en gros une moyenne de 350.000 $ par an et par employé. Ces montants sont importants parce que l’héritage clé de la bulle Internet est que l’économie est maintenant conduite en grande partie par le maintien des énormes salaires et bonus que de telles bulles rendent possibles. Le mantra de Goldman, « avide de long terme », s’est évanoui quand le jeu est devenu toucher son chèque avant que la pastèque ne touche le trottoir. Le marché n’était plus un lieu gouverné par la raison pour développer des entreprises rentables : il était devenu l’immense océan de l’argent des autres où les banquiers attiraient de vastes sommes par tous les moyens imaginables, pour essayer de convertir cet argent en bonus et salaires le plus vite possible. Vous avez fait du laddering et du spinning avec 50 introductions de sociétés Internet, et alors ? Le temps que la SEC vienne vous mettre une amende de 110 millions de dollars, le yacht que vous avez acheté avec vos bonus avait déjà 6 ans. De plus, vous n’étiez probablement plus chez Goldman à ce moment-là, en charge des finances du pays ou de l’État du New Jersey. (Un des moments vraiment comiques de l’histoire de l’effondrement de la bulle Internet fut quand le gouverneur du New Jersey Jon Corzine, qui dirigea Goldman de 1994 à 1999 et partit avec 320 millions de dollars grâce aux introductions en bourse, affirma en 2002 : « Je n’avais jamais entendu le terme laddering jusqu’à aujourd’hui. ») Pour une banque qui paye 7 milliards de dollars par an en salaires, 110 millions d’amendes à payer 5 ans plus tard étaient rien moins que dissuasives - c’était une plaisanterie. Une fois que la bulle Internet avait éclaté, Goldman n’avait aucune incitation à réexaminer sa nouvelle stratégie de recherche du profit ; la banque chercha juste une autre bulle à gonfler. Il s’avéra que, en grande partie grâce à Rubin, une autre était prête.
Bulle n° 3 La vogue de l’immobilier
Le rôle de Goldman dans le désastre absolu que fut la bulle immobilière n’est pas difficile à retracer. Là aussi, la combine de base fut une dégradation des règles bancaires, bien que dans ce cas il ne s’agissait pas des règles d’introduction en bourse, mais de celles des prêts immobiliers. Maintenant, presque tout le monde sait que, pendant des décennies, les prêteurs exigeaient des emprunteurs qu’ils soient capables de fournir au moins 10 % d’apport personnel, qu’ils aient des revenus réguliers, une bonne côte de crédit ainsi qu’un vrai prénom et patronyme. Mais, à l’aube du nouveau millénaire, les prêteurs jetèrent subitement tout ce caca par la fenêtre et commencèrent à signer des prêts sur des serviettes en papier à des serveuses et d’ex-taulards ayant en poche cinq balles et une barre de Mars[14]. Rien de cela n’aurait été possible sans les banquiers d’affaires comme Goldman, qui créèrent des véhicules pour emballer ces adorables prêts et les vendre en masse à des compagnies d’assurance et des fonds de pension sans défiance. Ceci créa un marché de masse pour la dette toxique qui n’aurait jamais existé avant. Dans l’ancien temps, aucune banque n’aurait voulu avoir en portefeuille le prêt d’un quelconque ex-taulard camé, sachant la probabilité qu’il ne soit pas remboursé. En d’autres mots, vous ne pouvez signer de tels prêts que si vous avez quelqu’un à qui les vendre, quelqu’un qui ignore ce qu’ils sont en réalité. Goldman utilisa deux méthodes pour dissimuler la saleté qu’ils vendaient. En premier lieu, ils ont fait des liasses de centaines de différents prêts immobiliers dans des instruments appelés CDO[15]. Ensuite, ils ont vendus aux investisseurs l’idée que, parce qu’une liasse de ces prêts se comporterait bien dans l’ensemble, il n’y avait pas de raison de s’inquiéter trop des « adorables[16] ». Le CDO, dans son ensemble, était solide. Ainsi, les prêts notés comme des déchets ont été transformés en investissements notés AAA. En second lieu, pour se couvrir contre le risque sur ses propres paris, Goldman obtint une assurance de compagnies comme AIG[18] - assurance connue sous le nom de CDS[19] - sur les CDO. Les CDS étaient fondamentalement un pari sur une course de chevaux entre AIG et Goldman : Goldman parie que les ex-taulards vont faire défaut sur leur prêt, AIG parie qu’ils le rembourseront. Il y avait un seul problème avec ces affaires : toute leur mécanique était exactement le genre de spéculation dangereuse que les agences fédérales sont supposées refréner. Les produits financiers dérivés comme les CDO et les CDS avaient déjà provoqué une série de catastrophes financières : Procter & Gamble et Gibson Greetings y perdirent tous deux des fortunes. En Californie, le comté d’Orange fut forcé de se déclarer en cessation de paiement en 1994. Cette année-là, un rapport du bureau de comptabilité du Gouvernement[20] recommandait de réglementer strictement ce type d’instruments financiers - et, en 1998, la présidente de la commission des transactions à terme sur les matières premières[21] [CFTC], Brooksley Born, confirma cette recommandation. En mai 1998, elle écrivit une lettre à l’administration Clinton et aux dirigeants économiques suggérant que les banques soient tenues de fournir plus de détails sur le négoce des dérivés et qu’elles soient aussi tenues de faire des provisions pour amortir les pertes. Plus de règlementation n’était pas exactement ce que Goldman avait en tête. « Les banques sont furieuses - elles veulent bloquer la réforme », dit Michael Greenberger, qui travaillait pour Born comme directeur des marchés et des transactions financières à la CFTC et qui est maintenant professeur de droit à l’université du Maryland. « Greenspan, Summers, Rubin et [le patron de la SEC Arthur] Levitt veulent aussi la bloquer. » Cette bande des quatre de Clinton régnant sur l’économie - « spécialement Rubin », selon Greenberger - convoqua Born pour une réunion et ils plaidèrent leur cause. Malgré cela, Born refusa de faire machine arrière et continua à demander une meilleure règlementation des dérivés. Aussi, en juin 1998, Rubin dénonça publiquement la position de Born, recommandant finalement que la CFTC soit privée de son pouvoir de règlementation. En 2000, le dernier jour de sa législature, le Congrès adopta la - maintenant fameuse - loi de modernisation des transactions à terme sur les matières premières, loi qui fut insérée à la dernière minute dans un collectif budgetaire de plus de 1000 pages, avec presqu’aucun débat au Sénat. Les banques étaient maintenant libres d’échanger des CDS en toute impunité. Mais l’histoire ne se termina pas là. En 2000, AIG, le principal fournisseur de CDS, approcha le département des assurances de l’État de New York pour lui demander si les CDS seraient règlementés en tant qu’assurances. À l’époque, le bureau des assurances était dirigé par Neil Levin, un ancien vice-président de Goldman. Celui-ci décida que les CDS ne seraient pas règlementés. Devenue libre d’émettre des CDO et d’acheter des CDS autant qu’elle voulait, Goldman se jeta frénétiquement dans le marché du prêt immobilier. En 2006, à l’apogée de la bulle, Goldman avait émis pour 76,5 milliards de dollars de produits dérivés basés sur des prêts immobiliers - un tiers de ces prêts étant des subprime -, la plus grande part de ces produits étant vendue à des investisseurs institutionnels comme des fonds de pension et des compagnies d’assurance. Et, dans ces émissions massives, il y avait de vastes marécages de merde. Prenons une émission de cette année-là, GSAMP Trust 2006-S3 pour 494 millions de dollars. De nombreux prêts correspondaient à un second emprunt par les emprunteurs et leur capital moyen ne valait que 0,71 % de leur emprunt. De plus, 58 % des prêts étaient peu ou pas documentés - pas de nom de l’emprunteur, pas d’adresse, juste le code postal. Malgré cela, les deux principales agences de notation, Moody’s et Standard & Poor’s, donnèrent à 93 % de l’émission la note « qualité pour investisseur »[23]. Moody’s prédisait que moins de 10 % des prêts feraient défaut. En réalité, 18 % furent en défaut de paiement dans les 18 mois. Mais Goldman n’était pas exposée au risque. La banque pouvait acheter ces prêts affreux, complètement irresponsables, à des firmes pires que des gangsters comme Countrywide et les revendre à des municipalités et des retraités - des vieux, bon sang ! - en affirmant que ce n’était pas la pire bouse de vache qu’on ait jamais vue. Mais tout en faisant cela, la banque prenait des positions à la baisse sur ce marché. En clair, elle pariait contre la merde qu’elle-même vendait. Pire encore, Goldman s’en félicitait publiquement. « Le secteur du prêt immobilier continue à être faible », se vantait David Viniar, responsable financier de la banque, « en conséquence, nous avons subi des pertes sur nos positions acheteuses… Cependant, notre gestion du risque sur ce marché consistait à être baissier et notre position nette vendeuse a été bénéficiaire ». En d’autres termes, les dérivés de prêts immobiliers que Goldman vendait étaient pour les crétins. On ne pouvait gagner de l’argent qu’en pariant contre ces mêmes prêts immobiliers. « Voilà jusqu’où ces salopards ont osé aller », dit le gérant d’un hedge fund. « Au moins, avec les autres banques, vous pouviez dire qu’elles étaient seulement stupides - elles croyaient à ce qu’elles vendaient et elles ont implosé avec la bulle. Goldman savait ce qu’elle faisait ». Je demande au gérant comment il se peut que vendre quelque chose et parier contre - surtout si vous en savez plus sur les faiblesses des produits que le client - ne soit pas considéré à un délit d’initié. « C’est exactement un délit d’initié », dit-il, « c’est le cœur même du délit d’initié ».
Finalement, de nombreux investisseurs fâchés se sont regroupés. Après l’éclatement de la bulle immobilière, comme une répétition virtuelle de la bulle Internet, Goldman fut touché par une vague de procès, dans lesquels la banque fut accusée d’avoir caché l’information pertinente sur la qualité des prêts immobiliers qu’elle émettait. Les autorités de l’État de New York poursuivent Goldman ainsi que 25 autres courtiers pour avoir vendu des liasses des prêts merdeux de Countrywide à des fonds de pension de fonctionnaires, lesquels ont perdu 100 millions de dollars sur leur investissement. Le Massachusetts aussi a enquêté sur Goldman pour les mêmes raisons, agissant au nom de 714 détenteurs de prêts prédateurs. Mais cette fois encore, Goldman s’en est sortie pratiquement indemne, écartant les menaces en acceptant de payer une somme dérisoire, 60 millions de dollars - environ ce que son département des CDO gagnait en un jour et demi pendant le boom immobilier. Les conséquences de la bulle immobilière sont toutes bien connues - elle a conduit, plus ou moins directement, à l’effondrement de Bear Stearns, Lehman Brothers et AIG, dont le portefeuille toxique de CDS était composé, pour une part significative, d’assurances que des banques comme Goldman avaient achetées pour couvrir le risque de leur propre portefeuille immobilier. En fait, au moins 13 milliards de dollars d’argent public, donnés à AIG pour son renflouage, sont allés à Goldman, ce qui signifie que la banque a gagné deux fois sur la bulle immobilière : elle a d’abord arnaqué les investisseurs qui ont acheté ses CDO pourris en pariant contre ses propres produits merdeux, puis elle s’est retournée et a arnaqué le contribuable en le faisant payer ces mêmes paris. Et de nouveau, tandis que le monde s’effondrait autour de la banque, Goldman s’assura que tout irait très bien du côté des rémunérations. En 2006, le montant des rémunérations grimpa à 16,5 milliards de dollars - une moyenne de 622.000 $ par employé. Comme l’expliqua un porte-parole de Goldman, « Nous travaillons très dur ici ». Mais le meilleur était encore à venir. Tandis que l’effondrement de la bulle immobilière expédia la plupart du monde financier vers la sortie ou la prison, Goldman doubla la mise - et, presque seul, créa encore une autre bulle, une dont le monde ignore encore que la firme y est impliquée.
Bulle n° 4 4 $ le gallon
Au début de 2008, le monde financier était en plein désarroi. Wall Street avait passé les 25 dernières années à provoquer un scandale après l’autre, ce qui ne laissait pas grand-chose à vendre qui ne fût avarié. Les termes junk bond[24], IPO, subprime mortgage[25] et autres mets financiers qui furent en vogue un temps, étaient maintenant fermement associés à des escroqueries dans l’esprit du public. Les termes CDS et CDO allaient bientôt les rejoindre. Les marchés de crédit étaient en crise et le mantra qui avait sous-tendu l’économie fantasmatique des années Bush - la croyance que les prix de l’immobilier ne baissent jamais - n‘était plus qu’un mythe effondré, laissant Wall Street réclamer à grand cris un nouveau paradigme de connerie à lancer. Où aller ? Avec un public réticent à mettre de l’argent dans quoi que ce soit qui ressemble à un investissement papier, la Street déménagea en douce le casino vers le marché des matières premières physiques[26] - les trucs que vous pouvez toucher : maïs, café, cacao, blé et, avant tout, les matières premières énergétiques, surtout le pétrole. En conjonction avec la baisse du dollar, la restriction du crédit[27] et l’effondrement de l’immobilier provoquèrent une « fuite vers les matières premières »[28]. En particulier, le prix du pétrole à terme[29] est monté en flèche, le baril passant de 60 $ mi-2007 à un plus haut de 147 $ à l’été 2008. Cet été là, tandis que la campagne présidentielle montait en puissance, la raison donnée pour expliquer la montée du prix de l’essence jusqu’à 4,11 $ le gallon[30] était que le monde faisait face à un problème d’approvisionnement en pétrole. Dans un classique exemple de la façon dont Républicains et Démocrates répondent aux crises par de féroces polémiques sur des points stupides et hors-sujet, John McCain prétendait que mettre fin au moratoire sur l’exploitation en mer[31] serait « très utile à court terme », tandis qu’Obama, en bon yuppie libéral, défendait l’idée qu’un investissement fédéral dans la voiture hybride était la solution. Mais tout était mensonger. Il est vrai que la production pétrolière globale va finir par s’épuiser, mais la production à court terme était en fait en augmentation. Selon l’administration pour l’information sur l’énergie[32], dans les six mois qui ont précédé l’envolée des prix, l’offre mondiale de pétrole était passée de 85,24 millions de barils par jour à 85,72 millions. Sur la même période, la demande avait chuté de 86,82 millions de barils par jour à 86,07 millions. Non seulement l’offre à court-terme avait augmenté, mais la demande avait baissé - ce qui, en termes économiques classiques, aurait dû faire baisser les prix à la pompe. Alors d’où provenait l’énorme hausse des prix du pétrole ? Devinez. Évidemment, Goldman a été aidé - il y avait d’autres joueurs dans le marché des matières premières physiques - mais la cause initiale a tout à voir avec le comportement d’un petit nombre de puissants acteurs déterminés à transformer en casino spéculatif ce marché qui avait été, jusque-là, sérieux. Goldman procéda en convaincant des fonds de pension et d’autres grands investisseurs institutionnels d’investir dans le marché à terme du pétrole[33] - en acceptant d’acheter du pétrole à un certain prix à une date fixée à l’avance. L’initiative transforma la nature du pétrole : d’une matière première rigidement soumise à la loi de l’offre et de la demande, il devint un objet de paris, comme les actions. Entre 2003 et 2008, le volume d’argent spéculatif dans les matières premières passa de 13 milliards à 317 milliards de dollars, un accroissement de 2.300 %. En 2008, un baril de pétrole changeait de main, sur le papier, 27 fois en moyenne avant d’être livré et consommé. Comme c’est souvent le cas, il existait une loi, datant de la Grande Dépression, pour empêcher spécifiquement ce genre de choses. Le marché des matières premières était d’abord destiné à aider les agriculteurs. Un cultivateur préoccupé par une éventuelle future baisse des prix pouvait signer un contrat de vente de son maïs à un certain prix, pour une livraison plus tard ; grâce à cela, il lui était moins utile de stocker lui-même sa récolte. Quand personne n’achetait du maïs, l’agriculteur pouvait vendre à un intermédiaire appelé « spéculateur traditionnel », lequel stockait le grain pour le vendre plus tard, quand la demande était plus forte. De cette façon, il y avait toujours quelqu’un pour acheter à l’agriculteur, même quand le marché n’avait pas besoin, temporairement, de sa récolte. Cependant, en 1936, le Congrès reconnu qu’il ne devait jamais il y avoir plus de spéculateurs dans ce marché que de producteurs et de consommateurs. Si cela arrivait, les prix seraient alors affectés par autre chose que l’offre et la demande et la manipulation des cours s’ensuivrait. Une nouvelle loi donna le pouvoir à la CFTC[34] - le même organisme qui tenta vainement plus tard de règlementer les CDS - d’imposer des limites aux opérations spéculatives sur les matières premières. Grâce à la supervision de la CFTC, la paix et l’harmonie régna sur les marchés de matières premières pendant plus de 50 années. Tout cela changea en 1991 quand, à l’insu de presque tout le monde, J. Aron, une filiale de Goldman spécialisée dans le négoce des matières premières, écrivit à la CFTC en utilisant un argument inhabituel. Les agriculteurs possédant de gros stocks de maïs, argumentait Goldman, n’étaient pas les seuls qui avaient besoin de se couvrir contre le risque de baisse des prix - les négociants de Wall Street qui font de gros paris sur le prix du pétrole avaient, eux aussi, besoin de se couvrir contre leur risque, parce que, eh bien, eux aussi risquaient de perdre beaucoup d’argent. C’était vraiment n’importe quoi - la loi de 1936, rappelez-vous, avait été écrite pour faire spécifiquement la distinction entre les négociants qui achetaient et vendaient une marchandise réelle, tangible et ceux qui traitaient seulement du papier. Mais la CFTC, étonnamment, accepta l’argument. Elle donna à la banque un laissez-passer, appelé « exemption pour couverture de bonne foi »[35], permettant à la filiale de Goldman de se prétendre négociant de matières premières réelles et d’échapper ainsi à toutes les limites imposées aux spéculateurs. Dans les années qui ont suivi, la commission accorda discrètement des exemptions à 14 autres compagnies. Goldman et d’autres banques étaient alors devenues libres d’attirer plus d’investisseurs dans les marchés de matières premières, permettant aux spéculateurs de faire des paris de plus en plus gros. Cette lettre de Goldman en 1991 conduisit plus ou moins directement à la bulle pétrolière de 2008, quand le nombre des spéculateurs sur le marché - motivés par la crainte de la chute du dollar et l’effondrement de l’immobilier - submergea finalement producteurs et consommateurs. En 2008, les trois quarts au moins de l’activité sur les marchés de matières premières était spéculative, selon un employé du Congrès qui a étudié les chiffres - et ce chiffre est probablement sous-évalué. Vers le milieu de l’été 2008, malgré une offre en hausse et une demande en baisse, nous payions 4 $ le gallon chaque fois que nous nous arrêtions à la pompe. Ce qui est encore plus stupéfiant c’est que la lettre d’exemption à Goldman, ainsi que la plupart de celles qui ont suivi, furent données plus ou moins en secret. « J’étais le chef de la division des marchés et Brooksey Born était la patronne de la CFTC », dit Greenberger, « et ni elle ni moi ne connaissions l’existence de cette lettre ». En fait, les lettres ne furent connues que par accident. L’année dernière, un employé du comité pour l’énergie et le commerce de la Chambre[36] se trouvait à une réunion quand des officiels de la CFTC firent une référence impromptue aux exemptions. « J’avais été invité à une réunion que la commission organisait sur l’énergie », raconte l’employé, « et, soudain, au milieu de la réunion, ils commencent à dire “Ouais, nous écrivons ces lettres depuis des années maintenant”. J’ai levé la main et dit “Vraiment ? Vous avez écris une lettre ? Puis-je la voir ?” Ils firent des “Hum, hum” d’embarras, la discussion tourna en rond un moment et à la fin, ils ont dit “Il nous faut l’accord de Goldman Sachs”. J’ai demandé “Qu’est-ce que vous voulez dire par `demander l’accord de Goldman Sachs ?”’ » La CFTC cita un règlement qui interdisait de communiquer toute information concernant la position courante d’une société sur le marché. Mais la demande de l’employé concernait une lettre écrite 17 ans plus tôt. Elle n’avait plus aucun rapport avec la position courante de Goldman. De plus, l’article 7 de la loi de 1936 sur les matières premières donne au Congrès le droit d’obtenir de la CFTC toute l’information qu’il veut. Pourtant, dans une parfaite illustration de la mainmise totale de Goldman sur le gouvernement, la CFTC attendit l’accord de la banque avant de transmettre la lettre. Armée de son exemption à moitié secrète conférée par le gouvernement, Goldman était devenu l’architecte en chef d’une gigantesque salle de paris. Son Goldman Sachs Commodities Index - indice qui suit les prix des 24 principales matières premières, mais dans lequel le pétrole est surpondéré - devint le lieu où les fonds de pension, les compagnies d’assurance et d’autres investisseurs institutionnels pouvaient placer des paris massifs à long terme sur les prix des matières premières. Tout aurait été très bien s’il n’y avait eu quelques petits problèmes. L’un de ces problèmes était que les spéculateurs sur indice font surtout des paris à la hausse[37] et rarement sur la baisse[38]. Si ce type de comportement est bon pour un marché d’actions, il est désastreux pour les matières premières, parce qu’il fait continuellement monter les prix. « Si les spéculateurs sur l’indice avaient aussi pris des positions à la baisse comme à la hausse, vous auriez vu les prix monter et descendre », dit Michael Masters, gérant d’un hedge fund qui a contribué à révéler le rôle des banques d’affaires dans la manipulation du prix du pétrole. « Mais ils poussent les prix dans une seule direction : vers le haut. » Pour aggraver encore le problème, Goldman elle-même a utilisé toute sa puissance pour encourager la hausse du prix du pétrole. Arjun Murti, un analyste de Goldman, salué comme un « oracle du pétrole » par le New York Times, prédit un « super pic », pronostiquant un prix du baril à 200 $. Dans le même temps, Goldman était lourdement investie dans le pétrole, à travers sa filiale J. Aron ; la banque possédait aussi une part d’une des plus grandes raffineries dans le Kansas, où elle stockait le brut qu’elle achetait et vendait. Bien que l’offre de pétrole suivît la demande, Murti lançait en permanence des alertes de pénurie mondiale de pétrole, allant jusqu’à révéler publiquement qu’il possédait deux voitures hybrides. Le prix élevé, prétendait la banque, est d’une certaine façon la faute de ce cochon de consommateur américain. En 2005, les analystes de Goldman répétaient qu’on ne saurait pas quand le prix allait cesser de monter tant qu’on ne saurait pas « quand les consommateurs américains arrêteront d’acheter des SUV[39] gouffres à essence et chercheront des alternatives moins gourmandes. » Mais ce n’était pas la consommation réelle de pétrole qui faisait monter les prix - c’était le négoce du pétrole papier. À l’été 2008, les spéculateurs sur les matières premières avaient acheté et empilé assez d’options sur le pétrole pour remplir 1,1 milliards de barils de pétrole ; ce qui signifie que les spéculateurs possédaient plus de pétrole à terme, sous forme papier, qu’il n’y avait de pétrole physique stocké dans toutes les cuves de stockage du pays, y compris celles de la Réserve Stratégique[41]. C’était une répétition à la fois de la bulle Internet et de la bulle immobilière, quand Wall Street faisait exploser les profits du jour en vendant à des idiots des parts d’un avenir fantasmatique où les prix monteraient éternellement. Dans ce qui était devenu un processus douloureusement familier, la pastèque du pétrole frappa brutalement le trottoir durant l’été 2008, causant une perte massive de richesse ; le prix du brut plongea de 147 $ à 33 $[42]. À nouveau, les grands perdants étaient des gens ordinaires. Les retraités, dont les fonds de pension avaient investi dans cette merde, furent massacrés : CalPERS[43], le fonds de pension des fonctionnaires de Californie, avait 1,1 milliard de dollars investi dans les matières premières quand la chute arriva. Et les dégâts ne provenaient pas que du pétrole. Gonflés par la bulle des matières premières, les prix alimentaires provoquèrent des catastrophes sur toute la planète, réduisant à la famine environ 100 millions de personnes et allumant des émeutes de la faim dans tout le tiers-monde. Aujourd’hui, le prix du pétrole monte à nouveau : il a pris 20 % au mois de mai et a, jusqu’à présent, doublé cette année. À nouveau, le problème n’est pas l’offre et la demande. « L’offre de pétrole est au plus haut des 20 dernières années », dit Bart Stupak, député démocrate du Michigan, membre du comité sur l’énergie de la Chambre. « La demande est au plus bas des 10 dernières années. Et pourtant, le prix est à la hausse. » Quand on lui demande pourquoi les politiciens continuent à rabâcher des choses comme forer de nouveaux puits ou les voitures hybrides, alors que l’offre et la demande ne sont pas la cause du prix élevé, Stupak secoue la tête. « Je pense qu’ils ne comprennent pas très bien le problème », dit-il. « Vous ne pouvez pas l’expliquer en 30 secondes, donc les politiciens l’ignorent. »
Bulle n° 5 La magouille du renflouage
Après l’implosion de la bulle pétrolière à l’automne 2008, il n’y avait plus de nouvelle bulle pour faire ronronner la machine - cette fois, l’argent semble vraiment parti, comme dans une dépression mondiale. Le safari financier a donc déménagé ailleurs et le gros gibier de la chasse a été le seul tas de capital restant, bête et non gardé : l’argent des impôts. C’est ici, dans le plus grand renflouage de l’Histoire, que Goldman Sachs a vraiment commencé à montrer ses muscles. Ça a débuté en septembre 2008, quand le ministre des finances d’alors, Paulson, prit une série de décisions essentielles. Bien qu’il ait déjà organisé le renflouage de Bear Stearns quelques mois auparavant et qu’il ait aussi renfloué les prêteurs quasi-privés Fannie Mae et Freddie Mac, Paulson choisit de laisser Lehman Brothers - un des derniers concurrents réels de Goldman - s’effondrer sans intervention. (« Le statut de super héros de Goldman resta intact », dit l’analyste du marché Eric Salzman, « et un concurrent dans la banque d’affaires, Lehman, disparaissait. ») Le lendemain même, Paulson donna le feu vert au renflouage massif - 85 milliards de dollars - d’AIG, lequel se retourna immédiatement et paya à Goldman 13 milliards de dollars qu’il lui devait[44]. Grâce au sauvetage, la banque finit donc par être payée en totalité pour ses mauvais paris. Par contraste, les retraités de l’industrie automobile qui attendent le renflouage de Chrysler auront de la chance s’ils reçoivent 50 cents sur chaque dollar qui leur est dû. Immédiatement après le renflouage d’AIG, Paulson annonça le sauvetage de l’industrie financière par le gouvernement fédéral, un plan de 700 milliards de dollars appelé le TARP[45], « programme de soulagement des avoirs en déshérence » et plaça un banquier de Goldman, Neel Kashkari, âgé de 35 ans et jusqu’alors inconnu, en charge de gérer ce fonds. Afin de profiter de l’argent du sauvetage, Goldman annonça qu’elle se transformait en une holding bancaire, cette conversion lui donnait accès non seulement à 10 milliards de dollars du TARP, mais aussi à toute une galaxie de financements publics moins voyants - notamment des prêts à taux réduits de la Réserve Fédérale. Fin mars 2009, la Fed aura prêté ou garanti au moins 8.700 milliards de dollars, pour une série de nouveaux renflouages - et grâce à une obscure loi autorisant la Fed à refuser la plupart des audits du Congrès, les montants versés et leurs bénéficiaires demeurent presqu’entièrement secrets. Se convertir en holding bancaire présente également d’autres avantages : l’organisme chargé du contrôle de Goldman est maintenant la Réserve fédérale de New York, dont le président au moment de l’annonce de la conversion était Stephen Friedman, un ancien co-président de Goldman Sachs. Friedman violait les principes de la Réserve fédérale en conservant son poste chez Goldman alors qu’il était supposé contrôler la banque. Pour régler le problème, il demanda et obtint du gouvernement une exonération pour conflit d’intérêts. Friedman devait aussi se débarrasser de ses actions de Goldman après que la banque soit devenue une holding[46], mais, grâce à l’exonération, il fut autorisé à acquérir 52.000 actions supplémentaires de son ancienne banque, ce qui le rendit plus riche de 3 millions de dollars. Friedman quitta son poste en mai 2009, mais l’homme qui est maintenant responsable du contrôle de Goldman - le président de la Fed de New York William Dudley - est encore un ancien de Goldman. Le message global de tout ceci - le renflouage d’AIG, l’approbation immédiate de la conversion en holding bancaire, les fonds du TARP - est que quand il s’agit de Goldman Sachs, il n’est plus question de marché libre. Le gouvernement pourrait laisser d’autres joueurs du marché mourir, mais il ne laissera tout simplement pas Goldman échouer, en aucun cas. Son emprise sur le Marché est soudain devenue une déclaration publique de privilège suprême. « Dans le passé, c’était un avantage implicite », dit Simon Johnson, professeur d’économie au MIT[47] et ancien officiel du Fonds monétaire, qui compare le renflouage au capitalisme de copinage qu’il a vu dans les pays du tiers-monde. « Maintenant, c’est plus un avantage explicite. » Une fois les renflouages en place, Goldman retourna immédiatement aux affaires habituelles, rêvant à des schémas toujours plus alambiqués pour nettoyer la carcasse américaine de son capital mal gardé. Un de ses premiers actes de la période d’après renflouage a été de repousser discrètement le calendrier qu’elle suit pour annoncer ses résultats, essentiellement pour effacer de ses comptes décembre 2008 et ses pertes de 1,3 milliard de dollars avant impôt. En même temps, la banque annonça un profit hautement suspect de 1,8 milliards de dollars pour le premier trimestre 2009 - profit qui incluait apparemment une grosse part d’argent payé par les contribuables via le renflouage d’AIG. « Ils ont complètement truqué les résultats du premier trimestre », dit un gérant de hedge fund. « Ils ont caché les pertes dans le mois orphelin et appelé bénéfice l’argent du renflouage. » Deux chiffres de plus ressortent de ce stupéfiant retournement au premier trimestre 2009. La banque a payé la somme incroyable de 4,7 milliards de dollars en bonus et primes, soit une augmentation de 18 % par rapport au premier trimestre 2008. Elle a aussi levé 5 milliards de dollars par émission de nouvelles actions juste après avoir publié son résultat trimestriel. Considérés ensemble, ces deux chiffres montrent que, au bout du compte, Goldman a emprunté pour payer 5 milliards de dollars de primes à ses cadres, et cela au beau milieu d’une crise économique mondiale qu’elle a contribué à provoquer, usant d’artifices comptables douteux pour embobiner des investisseurs, quelques mois à peine après avoir reçu des milliards des contribuables. Encore plus stupéfiant, Goldman fit tout ça juste avant que le gouvernement n’annonce les résultats de son nouveau « test de stress » pour les banques cherchant à rembourser l’argent du TARP - ce qui suggère que Goldman savait exactement ce qui allait arriver. Le gouvernement essayait de planifier soigneusement les remboursements pour tenter de prévenir de futurs problèmes dans les banques qui ne pourraient pas rembourser immédiatement. Mais Goldman balaya ces préoccupations, étalant effrontément son statut d’initié. « Ils semblaient connaître tout ce dont ils avaient besoin avant que le test de stress ne sorte, contrairement à tous les autres qui devaient attendre la sortie du test », dit Michael Hecht, directeur de gestion chez JMP Securities. « Le gouvernement vint déclarer “Pour rembourser le TARP, vous devez avoir émis de la dette à 5 ans qui ne soit pas assurée par le FDIC[48] - ce que Goldman venait de faire une semaine ou deux plus tôt. » Et voici le coup de grâce. Après avoir joué un rôle central dans quatre bulles catastrophiques, après avoir contribué à faire disparaître du NASDAQ 5.000 milliards de dollars de richesse, après avoir refilé des milliers de prêts immobiliers toxiques à des retraités et des municipalités, après avoir contribué à pousser le prix de l’essence jusqu’à 4 $ le gallon et provoqué la faim de 100 millions de personnes dans le monde, après avoir mis la main sur des dizaines de milliards de dollars des contribuables à travers une série de renflouages gérés par son ancien PDG, combien Goldman Sachs rendit au peuple des États-Unis en 2008 ? Quatorze millions de dollars. C’est ce que la firme a payé en 2008, un taux effectif d’imposition d’exactement un, vous lisez bien, un pourcent. La banque a payé 10 milliards de dollars en primes et bonus la même année et a fait un bénéfice de plus de 2 milliards de dollars - pourtant, elle a payé au Trésor moins d’un tiers de ce qu’elle a casqué à son PDG Lloyd Blankfein, qui a reçu 42,9 millions de dollars l’année dernière. Comment est-ce possible ? Selon le rapport annuel de Goldman, le faible niveau d’impôts est dû en grande partie à des changements dans la « répartition géographique des profits ». En d’autres mots, la banque a déplacé son argent de manière à ce que ses profits soient situés dans des pays étrangers ayant de faibles taux d’imposition. Parce que notre système d’imposition des grandes sociétés est complètement foutu, des sociétés comme Goldman peuvent expédier leurs revenus dans des paradis fiscaux et reporter indéfiniment les impôts sur ces revenus, même si elles réclament par avance des déductions sur ces mêmes revenus non imposés. C’est pourquoi n’importe quelle grande société avec un expert-comptable qui soit à jeun au moins de temps en temps, peut, en général, trouver une façon de réduire à zéro ses impôts. En fait, un rapport du bureau de Comptabilité du gouvernement[49] a trouvé qu’entre 1998 et 2005, environ deux tiers de toutes les grandes sociétés opérant aux États-Unis n’y ont payé aucun impôt. C’est un scandale qui justifierait une levée de fourches - mais je ne sais comment, quand Goldman publia son imposition d’après le renflouage, c’est à peine si quelqu’un le commenta. Un des peu nombreux qui remarquèrent le scandale fut le représentant Llyod Doggett, un Démocrate du Texas qui siégea au comité des moyens et solutions[50] de la Chambre. « Tandis que la main droite mendie l’argent du renflouage », dit-il, « la gauche le cache dans des paradis fiscaux ».
Bulle n° 6 Le réchauffement global
Avance rapide jusqu’à aujourd’hui. Nous sommes début juin à Washington D.C., Barack Obama, un jeune politicien populaire dont le plus important contributeur privé à sa campagne électorale fut une banque d’affaires du nom de Goldman Sachs - ses employés ont donné quelques 981.000 $ pour sa campagne - occupe la Maison Blanche. Ayant navigué sans encombre dans le champ de mines politique de l’ère du renflouage, Goldman est à nouveau retournée à ses affaires habituelles, cherchant des failles dans un nouveau marché créé par le gouvernement, avec l’aide d’un nouveau groupe d’anciens de la banque occupant des positions clé au gouvernement. Hank Paulson et Neel KashKari sont partis ; à leur place se trouvent le directeur du cabinet des Finances Mark Patterson et le patron du CFTC Gary Gensler, tous deux anciens de Goldman (Gensler était le co-directeur financier de la firme). Et à la place des dérivés de crédit ou des CDO ou des options sur le pétrole, les crédits de carbone sont le nouveau jeu à la mode - un marché de mille milliards de dollars en plein essor, qui existe encore à peine, mais qui existera si le Parti Démocrate, qui a reçu 4.452.585 $ de ce marché lors de la dernière élection, se débrouille pour créer une nouvelle bulle de matières premières qui fera trembler la Terre, déguisée en « plan environnemental » appelé cap-and-trade[51]. Le nouveau marché des crédits de carbone est une répétition virtuelle du casino des matières premières qui a été si bon pour Goldman, sauf qu’il a une savoureuse nouvelle particularité : si le plan avance comme attendu, la montée des prix sera imposée par le gouvernement. Goldman n’aura même pas à truquer le jeu. Il le sera dès le départ. Voici comment ça marche : si la loi passe, pour les usines et installations fonctionnant au charbon, les distributeurs de gaz naturel et de nombreuses autres industries, il y aura des limites sur les émissions de carbone (dioxyde de carbone, gaz à effet de serre) qu’elles peuvent produire chaque année. Si une société dépasse son quota, elle pourra acheter des « allocations » ou crédits à d’autres sociétés qui ont produit moins d’émissions de carbone. Le président Obama estime qu’au minimum 646 milliards de dollars de crédits de carbone seront mis aux enchères dans les sept premières années. Un de ses principaux conseillers économiques prédit que le chiffre réel sera deux, voire trois fois plus élevé. La particularité de ce plan qui lui confère un attrait spécial pour les spéculateurs, c’est que le contingent[52] sera continuellement diminué par le gouvernement, ce qui signifie que les crédits de carbone deviendront, année après année, de plus en plus rares. Il s’agit donc d’un marché tout à fait inédit, où il est garanti que la matière première négociable verra son prix monter au cours du temps. Le volume en valeur de ce nouveau marché s’élèvera jusqu’à dépasser mille milliards de dollars par an. Pour comparaison, le chiffre d’affaires combiné de toutes les compagnies d’électricité aux États-Unis est de 320 milliards de dollars par an. Goldman veut cette loi. Le plan est (1) d’entrer sur terrain d’une législation qui change de paradigme, (2) de s’assurer que la banque aura bien la part rentable de cette législation et (3) de s’assurer que cette part sera une grosse part. Goldman a commencé à faire pression pour l’adoption du cap-and-trade il y a longtemps, mais les choses n’ont vraiment décollé que l’année dernière, quand la firme a dépensé 3,5 millions de dollars pour du lobbying sur les questions climatiques (un de leurs lobbyistes à ce moment était Patterson, maintenant directeur du cabinet des Finances). En 2005, quand Hank Paulson était PDG de Goldman, il participa personnellement à la rédaction de la politique environnementale de la banque, un document qui contient des éléments surprenants pour une firme qui, dans tous les autres domaines, a été constamment opposée à toute règlementation gouvernementale. Le rapport de Paulson défendait l’idée que « l’action volontaire seule ne peut résoudre le problème du changement climatique ». Quelques années plus tard, le chef du secteur carbone de la banque, Ken Newcombe, soutenait que le cap-and-trade seul ne serait pas suffisant pour régler le problème du climat et demandait des investissements publics en recherche et développement. Ce qui est pratique si l’on considère que Goldman a investi tôt dans l’énergie éolienne (elle a acquis une filiale du nom de Horizon Wind Energy), le biodiesel (elle a investi dans une société appelée Changing World Technologies) et l’énergie solaire (elle a un accord de partenariat avec BP Solar), exactement le genre d’affaires qui vont prospérer si le gouvernement force les producteurs d’énergie à utiliser de l’énergie plus propre. Comme Paulson l’avait dit à l’époque, « nous ne faisons pas ces investissements pour perdre de l’argent. » Goldman possède une part de 10 % dans la bourse d’échange de carbone de Chicago[53], où les crédits de carbone seront négociés. De plus, la banque possède une part minoritaire dans Blue Source LLC, une société de l’Utah qui vend le type de crédits de carbone qui sera très recherché si la loi passe. Le lauréat du prix Nobel Al Gore, qui est intimement impliqué dans la programmation du cap-and-trade, a cofondé une société du nom de Generation Investment Management avec trois anciennes huiles de Goldman Sachs Asset Management, David Blood, Mark Ferguson et Peter Harris. Leur domaine ? Investir dans les crédits de carbone. Il y a aussi un fonds de 500 millions de dollars, Green Growth Fund, créé par un ancien de Goldman pour investir dans les technologies vertes… La liste peut continuer ainsi indéfiniment. Goldman est à nouveau en avance des annonces, attendant juste que quelqu’un fasse pleuvoir au bon endroit. Ce marché sera-t-il plus gros que le marché à terme sur l’énergie[54] ? « Oh, il va le dépasser de plusieurs têtes », dit un ancien membre du comité sur l’énergie de la Chambre[55]. Bon, vous pourriez dire, quelle importance ? Si le cap-and-trade réussit, ne serons-nous pas tous sauvés de la catastrophe du réchauffement global ? Peut-être - mais le cap-and-trade, vu par Goldman, est juste un impôt sur le carbone bâti de telle façon que des intérêts privés en collectent le produit. Au lieu d’imposer simplement une taxe gouvernementale fixe sur la pollution par le carbone et obliger les producteurs d’énergie sale à payer pour la pollution qu’ils engendrent, le cap-and-trade va permettre à une petite tribu de Wall Street de se goinfrer comme des porcs en transformant encore un autre marché de matière première en système de collecte privée d’un impôt. Ceci est pire que le renflouage : ça permet à la banque de capter l’argent du contribuable avant même qu’il soit collecté. « Si ça doit être une taxe, je préfèrerais que Washington la mette en place et la collecte », dit Michael Masters, le directeur de hedge fund qui a dénoncé la spéculation sur le marché à terme du pétrole, « mais nous sommes en train de parler de Wall Street déterminant la taxe et Wall Street la collectant. C’est la dernière chose au monde que je veuille. C’est complètement dingue. »
Le cap-and-trade va arriver. Ou, sinon, quelque chose du même genre arrivera. La morale est la même que pour toutes les autres bulles que Goldman a contribué à créer, de 1929 à 2009. Dans presque tous les cas, la même banque qui s’est comportée de manière irresponsable pendant des années, surchargeant le système par des prêts toxiques et de la dette mortelle, ne produisant rien d’autre que des bonus énormes pour quelques patrons, cette même banque donc a été récompensée par des montagnes d’argent pratiquement donné et la garantie du gouvernement - tandis que les vraies victimes de ce désordre, les contribuables ordinaires, sont ceux qui payent pour lui. Il n’est pas toujours facile d’accepter la réalité de ce que nous laissons faire impunément à ces gens ; il y a une sorte de déni collectif qui s’enclenche quand un pays traverse ce que l’Amérique a subi ces derniers temps, quand un peuple perd autant de son prestige et de son statut que nous ces dernières années. Vous ne pouvez pas vraiment prendre acte du fait que vous n’êtes plus un citoyen d’une démocratie prospère de premier plan, que vous n’êtes plus à l’abri de vous faire voler en plein jour ; parce que, tel un amputé, vous pouvez encore sentir des choses qui ne sont plus là. Mais c’est ainsi. C’est le monde dans lequel nous vivons maintenant. Et dans ce monde, certains doivent jouer suivant les règles, tandis que d’autres obtiennent un mot du Principal les dispensant de faire leur travail jusqu’à la fin des temps, plus 10 milliards de dollars dans un sac en papier pour s’acheter leur déjeuner. C’est un État gangster, vivant sur une économie de gangster où même les prix ne signifient plus rien : dans chaque dollar que vous payez se cachent des taxes. Et peut-être bien que nous ne pouvons plus l’arrêter, mais nous devons au moins savoir où tout cela nous conduit.



Le monde est-il gouverné par Goldman Sachs ?



Les responsables de la crise démasqués par eurydile





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